Peut-on donner sans compter ? Le rôle crucial des aidant·es et l’appel au changement..

L’altruisme est souvent perçu comme une vertu incontestable. Aider sans rien attendre en retour, se dévouer corps et âme pour autrui, voilà des actions valorisées dans notre société. Pourtant, lorsqu’il s’agit du rôle des aidant·es, cette générosité est mise à rude épreuve. Les aidant·es familiaux, qu’ils accompagnent un parent âgé, un enfant malade ou un proche en situation de handicap, sont quotidiennement confronté·es à une exigence émotionnelle, physique et psychologique intense. Leur engagement, bien que louable, pose une question fondamentale : peut-on vraiment donner sans compter, sans y laisser une part de soi-même ?

Marguerite

9/21/20245 min read

Avec une population vieillissante, le recul de l’âge de la retraite et la hausse des maladies chroniques, l'aidance devient un enjeu sociétal majeur, impactant particulièrement les femmes et compromettant leur émancipation économique. Un·e Français·e sur cinq est aidant·e, dont 60 % de femmes, un chiffre sous-évalué car beaucoup ignorent leur statut. Nombre d'entre elles sont en situation de multi-aidance, s'occupant de plusieurs proches (enfants, parents, etc.).

Une charge invisible et inégalement partagée

En France, on estime que plus de 11 millions de personnes sont des aidant·es non professionnel·les. Ce sont souvent des proches qui, par obligation morale ou affective, prennent en charge des tâches de soin, d'accompagnement et de gestion quotidienne pour les personnes en perte d’autonomie. Si leur rôle est indispensable au maintien à domicile de nombreuses personnes vulnérables, la charge qui repose sur eux est bien souvent invisible.

Le terme de "charge invisible" fait référence à l'ensemble des tâches et responsabilités qui ne sont pas officiellement reconnues ou rémunérées. Cela inclut la gestion du quotidien, les soins médicaux de base, mais aussi le soutien émotionnel, parfois plus lourd à porter que le reste. Ces responsabilités pèsent d’autant plus lourdement qu’elles sont souvent assumées de manière inégale. Les femmes, en particulier, représentent la majorité des aidant·es, ce qui renforce les inégalités de genre déjà présentes dans la répartition des tâches domestiques et familiales. Sur mon chemin, fille, mère, épouse représentent 99% de cette réalité, fils, père, époux même s'ils sont peu nombreux, chevaliers admirables !

Mon quotidien avant la rupture...

"Je suis aidante depuis 40 ans. Quarante années à accompagner, à veiller, à soigner, à être présente, jour après jour, nuit après nuit. Pas de pauses. Pas de répit. Pas de week-end ou de vacances. C’est simple, je suis aidante 365 jours par an — enfin non, 364, je m’accorde un jour de "liberté" pour… je ne sais pas, rêver peut-être ? Non, même pas.

Mon médecin a un diagnostic pour ma situation : " un épuisement total".

Cela me fait sourire. Ironiquement, je n’ai même plus la force de ressentir cet épuisement, tellement il est devenu mon quotidien. Imaginez un peu, être totalement épuisée, mais sans droits ouverts à la CPAM. Ah, la grande CPAM, cette institution bienveillante… Pourquoi ? Parce que, tenez-vous bien, les heures de dédommagement pour la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) ne couvrent même pas la moitié du temps réel passé à aider. Et il en faut de l’aide : 7 jours sur 7, sans exception, parfois jusqu’à 24 heures par jour. Mais la PCH, elle, semble ignorer que mes journées ne font pas 24 heures, mais des marathons sans fin.

Le dédommagement ? Une goutte d’eau dans l’océan. La reconnaissance ? Elle brille par son absence. En 40 ans, je n’ai jamais été reconnue comme une vraie travailleuse. Et pourquoi le serais-je ? Aider, c’est un acte d’amour, non ? Un acte désintéressé, un geste généreux qui ne mérite pas de compensation ou d’égard.

Peut-être que si j’étais une machine, ils me permettraient au moins de m’éteindre et de refroidir quelques heures.

Mais les aidant·es n’ont pas de bouton "off". Ni de manuel d’instructions, d'ailleurs.

Le répit : cette chimère

Et parlons-en, du répit. Un mot joli, rempli de promesses : se reposer, souffler, ne plus entendre cette petite voix intérieure qui hurle que l’on est à bout. Pouvoir simplement respirer, s’abandonner quelques instants. Cela doit exister pour les aidant·es, non ? Après tout, on en parle, on nous le promet. Mais désolée de briser l’illusion : cela n’existe pas. Oui, les brochures sont belles, les annonces politiques séduisantes, les discours empreints de sollicitude. Mais, entre la réalité et ces jolies communications, il y a un gouffre.

Les "solutions" proposées pour ce droit à se reposer sont des mirages. Trouver un endroit où confier son proche quelques jours pour souffler ? Mission impossible. Trop cher, trop compliqué... Alors, je suis restée. J'ai tenu. Mais à quel prix ?

Une générosité sans fin… et sans retour

Je me demande parfois : peut-on vraiment donner sans compter ? À force de donner, je ne compte plus… les heures, les années, les sacrifices. Et quand je regarde autour de moi, je me rends compte qu’on ne me compte plus non plus. Ni la société, ni les institutions, ni même ceux qui me parlent de répit en posant un regard distrait sur ma fatigue. L’épuisement, cette lente érosion de l’âme et du corps, est devenu une normalité.

Le pire dans tout cela, c’est qu’il suffirait de si peu pour alléger cette charge. Une véritable reconnaissance légale. Un vrai droit au répit, et non cette parodie de prise en charge. Des congés aidant·es adaptés, pas quelques heures au rabais pour faire bonne figure. Peut-être aussi une écoute attentive des besoins des aidant·es qui ne soit pas noyée dans des promesses en l'air.

Je ne demande pas la lune, seulement la possibilité de respirer.

Respirer, un mot si simple, mais qui semble hors de portée pour tant d’aidant·es comme moi. Une reconnaissance pour ces 40 ans de service ininterrompu. Ce serait déjà un bon début. Mais en attendant, je continue à donner, sans compter. Et j'espère voir de mon vivant."

Une société plus solidaire

Le modèle actuel, qui repose en grande partie sur les aidant·es informel·les, n'est pas soutenable. Il est grand temps d’appeler au changement et de construire une société qui valorise les aidant·es non seulement pour leur engagement, mais aussi pour leur contribution essentielle au bien-être collectif. Cela implique une prise de conscience à tous les niveaux : citoyen, politique et économique.

Peut-on donner sans compter ? Si donner, c'est s'oublier, la réponse est non.

Nous devons impérativement repenser notre modèle de soutien aux aidant·es afin qu'ils puissent continuer à offrir leur aide sans y sacrifier leur propre équilibre. L'altruisme ne doit pas être synonyme d'épuisement ou de précarité. En construisant des systèmes de soutien plus solides, nous faisons non seulement justice aux aidant·es, mais nous créons également une société plus juste et solidaire.

L’heure est venue d’agir, de reconnaître et d’accompagner ces héros du quotidien, afin que leur dévouement ne soit plus un fardeau invisible, mais une responsabilité partagée par tous.

Prendre soin de soi, pour mieux prendre soin de l'autre, ma philosophie

Naturellement vôtre, Marguerite

https://www.avecnosproches.com, un numéro national 01.84.72.94.72 Ligne d'écoute mise en place pour un proche aidant. Un Grand Mercy pour votre écoute bienveillante

https ://fondationdesfemmes.org/actualites/le-cout-de-laidance-peut-on-donner-sans-compter/